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- L'hospice
- Jardin secret
- Être ou paraître
- Le murmure des murs
- Parfum
- Vu du balcon

Parfum
Je vous cherche partout.
Après toutes ces années, je ne vous ai toujours pas retrouvée.
Nous avions bien sympathisé, ma foi, sur les bancs de cette école, toute simple, bien ordinaire.
Et vous m’aviez enfin dit un jour : « si vous voulez, samedi après midi, venez pour le goûter » !
Il faut dire que la fin de la semaine avait été longue, et à peine franchie la porte, j’avais été assailli, envahi, et j’en suis pour toujours resté prisonnier.
Je vous cherche partout.
Oh, il y avait bien cette odeur de tarte aux pommes chaude, délicieusement sucrée, colorée de cannelle, qui voyageait d’une pièce à l’autre.
Sans doute aussi, les manifestations d’une humidité rampante, visible sur les murs, les tapisseries.
Leur concert rivalisait avec l’odeur de vieux chien qui s’était incrustée dans la couverture de son panier, les rideaux et les coussins.
Pourtant, aussi diverses, nombreuses et prégnantes, elles ne réussissaient pas à rivaliser avec ces notes d’amande, d’épices et de fragrances exotiques qui se déplaçaient avec vous.
Chacun de vos pas les entraînait, prisonnières de vos vêtements, de votre personne ou peut-être seulement de vos cheveux, et de votre peau, sans doute aussi.
Peu à peu, elles s’imposaient et dissimulaient dans l’ombre les odeurs rivales, pour mieux régner sur les lieux, mais surtout sur moi. À chaque respiration, il me semblait qu’une griserie se diffusait de mes orteils à la racine de mes cheveux.
Je vous cherche partout.
Votre ton était léger.
Votre parfum vous accrochait au sol, nous donnait vie, et suspendait ma respiration. Mon cœur s’affolait, mes sens s’animaient.
Et puis, vous deviez partir. Il me fallait vous quitter.
Et vous avez déménagé.
Depuis, je n’ai cessé de vous chercher, partout.
Être ou Paraître
Au fil du temps qui passe, not’ futur s'amenuise
Et la vie de chacun, pour bien qu'elle se construise,
Se façonne un parcours au contact des idées,
Des personnes, des musiques, des zones d'ombres, des clartés,
Et impose à chacun, pour définir son « Être »,
De choisir : aimer ou, plutôt, envoyer paître,
Apprendre à maîtriser son émoi, sans souci,
Regarder dans les yeux, pour mieux dire : "Non, merci" !
Fort de cette conviction, laissez-moi vous avouer,
Qu'aux donneurs de leçons, "Je-sais-tout" avérés,
J'oppose mes scrupules, mes questions, ma faiblesse,
Qui nourrissent mon envie de comprendre, et sans cesse
Questionner mes idées, mes repères, ma personne,
Douter avant que l'heure de mon trépas ne sonne,
Avoir une certitude : que le flou dans l'esprit,
Est la force qui m'anime pour mieux dire : "Non, merci"!
Ainsi, dès l'enfance, exposé sans pitié
Aux horreurs d'une cantine d'une école de quartier,
J'appris à repousser mon assiette trop remplie
D'un tapioca tiède, à la louche, servi,
Ou le riz au gras, gluant et malodorant,
Qui donne des sueurs froides, soulève le cœur, vraiment.
Risquant le piquet et la risée, l'air contrit,
Au surveillant sadique je disais : "Non merci" !
Puis vint l'époque où les arguments des parents,
Des amis, des auteurs, des radios, des passants,
Me choquèrent, me forgèrent, me séduisirent. Ainsi,
Mon aversion des donneurs de leçons naquit.
Des faux-culs, des lèche-culs j'appris à me méfier,
Autant que des belles idées, faîtes pour les niais.
Rêver, certes, mais se laisser berner "Non, merci" !
Les convictions, oui, les croyances vaines, Non, merci !
Pas de pubs mensongères, imprimées sur papier,
Ou d'appels, ou de SPAM dans ma boite à courrier,
Pas d'costard, ni cravate, ni match à la télé,
Pas de dîners chics aux mots et sourires forcés.
Non merci ! Servez-moi plutôt un verre ou deux
Que j'entende mieux la nuit tomber quand il pleut.
Laissez-moi remettre sur le métier mes idées,
Les détricoter un peu, pour mieux les tisser.
J'ai besoin, pour sourire, pour me sentir vivant,
De rouler toute la nuit, jusqu'au café-croissant,
Arpenter des chemins de montagne et des sites,
Découvrir des ailleurs et ceux qui les habitent,
Échanger, et toujours aiguiser mes pensées,
Rêver, et écouter des enfants s'esclaffer,
Caresser sur mes genoux un chat ronronnant,
Et brosser les cheveux de ma mie, en rêvant.
Le murmure des murs
Vous en rêvez dans votre sommeil,
Et l’on vous entend implorer :
"Si les murs avaient des oreilles,
Des yeux, et s'ils pouvaient parler!"
Assourdis par votre mauvaise foi,
Jamais vous ne pourrez entendre,
Si vous n'écoutez pas nos voix
Ni nos murmures à pierre fendre.
Nous sentons, entre briques et joints,
Couler la sueur de vos chagrins.
De vos disputes, sommes témoins,
De vos peines d' hier et demain.
Nous pourrions redire sans égard
Les mots tendres, durs, et les mots drôles,
Qui nous rasent à coups de regards
Et comme des ombres nous frôlent.
On vous dirait, combien, le soir,
Vos soupirs d'amoureux cachés
Dans nos bras, vous donnent l'espoir
Que portent les amants enlacés,
Qu’une Belle sortant de son bain,
Révélant son sein, et mouillée,
Ses cheveux longs au creux des reins,
Tourne le silex en petit lait.
Vous sauriez aussi qu'un beau soir
Le juge était tellement saoul,
Que, se voyant dans son miroir,
Il avait vomi son ragoût.
Vous bâtissez pour diviser,
Recevoir vos lamentations,
Quand notre plus cher destin est
D'apporter force et protection.
Vous nous avez utilisés
En Palestine ou à Berlin
Croyant remords et honte cacher
Dessous vos haines et vos chagrins.
C’est vrai, nous avons des oreilles,
Des yeux, et nous pouvons parler !
Écoutez dans votre sommeil
Et osez entendre vos secrets ...
Jardin secret
Il est un jardin caché, aux mille senteurs
Que j'arpente de tout temps, même sous les gouttes d’eau,
Dont il est friand, ainsi que des rayons chauds,
Pour parfaire sa beauté et créer sa splendeur.
Il n'a rien dans sa taille, d'un jardin de palais,
Bien soigné, par des jardiniers à l’allure fière,
Ni d’un jardin public, avec ses murs de pierres,
Il n’est qu’un mouchoir de poche, au portail rouillé.
Mais il tient sa grandeur de ses arbres centenaires,
De ses fleurs choyées par un humble serviteur
Qui, redressé, contemple son ouvrage quand vient l'heure,
Tel un maître surveille ses élèves, l’œil sévère.
Les parfums s'entremêlent et éveillent la narine.
Le lilas, la glycine, le thym, le romarin,
Et les roses se marient pour masquer le plantain.
Tous vous font prisonnier de leur odeur divine.
Les saisons passent, l'automne arrive. Le jardinier
Taille ses haies à droite, à gauche, balaie les feuilles,
S'assoit et déguste une tasse de tilleul.
Un paon fait la roue puis s'éloigne sur le sentier.
Quand le printemps enfin revient, c'est le retour
Des groupes d'enfants, des retraités et des grand-mères
Du quartier voisin, qui traînent, et prennent l'air
Au gré du vol des moineaux et leurs chants d’amour.
Des gamins courent ou chantent, les autres creusent à la main
A la recherche de vers de terre ou d’un trésor.
Les vieux s’assoient pour mieux ménager leurs efforts
Las, déjà, du jour qui dure depuis le matin.
Si par hasard vous découvrez l'entrée cachée
De ce havre de paix aux vapeurs enivrantes,
Osez emprunter les allées odorantes,
Et venez goûter les joies d'un jardin secret.
L'hospice
C'est un lieu plein d'histoire, un vestige du temps
Passé sans qu'on le sache, d'hier à aujourd'hui;
Une bâtisse robuste, défiant les éléments
De pierres blanches salies, et de poutres aussi.
On s'y rend pour y voir des êtres chers, blessés,
Pris de maladie, ou frappés de fin de vie.
On y croise des blouses blanches, des brancards, des curés,
Des docteurs fatigués et des peaux toutes flétries.
Le soleil ne pénètre qu'à travers des carreaux
Entachés de poussière, et jaunis jusqu'en haut.
La lumière blême tombe, sur des êtres ésseulés.
Les mains sur la poitrine, sur son lit allongé,
Les paupières fermées, un corps gît, apaisé,
Assoupi, immobile. Il emporte ses secrets.