Corinne DESLANDRES vit à Granville, où elle exerce le métier de correctrice, transcriptrice et rédactrice. Et à ses heures… pas si perdues, elle écrit ses propres textes poétiques, pour le plaisir de manier les mots et les rimes, d'en faire des histoires.
Ses poèmes parlent de la vie dans tout ce qu’elle a de vibrant, de bousculant, de tumultueux, parfois légère et parfois grave, tantôt lumineuse, tantôt sombre. On exulte, on s’effondre, on s’aime, on se quitte, on regarde tout ça de près, de loin, on comprend, on apprend… on recommence… au gré du temps qui passe et de la ribambelle d’événements qui font, défont et refont l’existence.
Et comme poésie et musique font souvent bon ménage, certains textes de Corinne sont devenus des chansons. Une jolie façon de continuer l’aventure !
Corinne vous propose ses poèmes:
PONT DES ARTS
Mercredi, minuit, pont des Arts, elle a surgi de nulle part
Et d’un geste voluptueux, elle m’a demandé du feu
Fasciné par le nuage envoûtant de ses cheveux roux
Et par le joli coquillage tatoué au creux de son cou
J’ai balbutié je ne sais quoi dans l’urgence de la retenir
Mes mots se sont éparpillés sans que je puisse réagir
Dans un geste de maladresse, mon briquet m’a glissé des doigts
Dérisoire consolation, je l’ai fait rire aux éclats
Malice du destin ou taquinerie du démon
Un souffle d’air plus tard, vous étiez partie
Vous m’avez échappé, furtive apparition
Disparue dans Paris, évanouie dans la nuit
Mercredi, minuit, pont des Arts, quel diable m’a menée vers lui ?
Il enflamme ma mémoire depuis six jours et autant de nuits.
J’ai ri de sa maladresse, quand son briquet lui a échappé
J’ai dû lui sembler insolente, ce n’était que timidité
Je ne distingue plus sa voix, mais je vois clairement son sourire
Son regard en clair-obscur illumine mes souvenirs
Orgueil ou instinct de survie, j’ai préféré disparaître
Plutôt que d’être emportée par cette formidable tempête
Panique à bord dans mon corps et mon esprit
Frisson inattendu, pourquoi me suis-je enfuie ?
Urgence irraisonnée de retrouver votre trace
Espoir insensé d’un nouveau face à face
Mes pas ne me mèneront plus, le soir, sur le pont des Arts
La poésie a disparu et aucune chance de la revoir
Le face à face n’aura pas lieu, je le sais mieux que personne
Je n’aurai été pour elle que l’anecdote d’un soir d’automne
Je préfère garder l’image du nuage de ses cheveux roux
De sa douce insolence, du coquillage au creux de son cou
De la mélodie de sa voix, de son rire aux éclats
Étoile filante, ensorcelante, qui longtemps me poursuivra
Le temps sans foi ni loi se chargera de balayer
Ce que, sans le savoir, en moi elle a enraciné
L’oubli sera moins cruel que la désillusion
Elle réapparaîtra parfois dans mon imagination
Un regard à peine effleuré et me voilà emprisonnée
Dans la nostalgie d’une histoire qui n’a jamais existé
Je retourne parfois le soir, marcher seule sur le pont des Arts
D’une rive à l’autre de la Seine, partout je crois le revoir
Bien sûr, je n’ai été pour lui qu’une silhouette dans la nuit
Juste quelques secondes vite effacées de sa vie
Une photo instantanée qu’on oublie dans un tiroir
Qu’on ne retrouve jamais, si ce n’est au gré du hasard
L’oubli sera pour moi un glacial réconfort
Continuer le chemin, accepter l’ironie du sort
Dans l’amnésie, je trouverai la consolation
Il réapparaîtra parfois dans mon imagination.
Texte mis en musique par Gonzzo Stone Age (Viva Alamo), interprété en duo avec Virginie Amchin.
PENSÉES, SOUVENIRS
Mes pensées sont un labyrinthe
Où j’aime aller perdre mon temps
Sans limite et sans contrainte
En sifflotant, le pas traînant
Ma tête est un Rubick’s cube
Multifaces et multicolore
Où les doutes et les certitudes
Tournent, dansent et s’évaporent
Dans le brouillard indistinct
De mes réflexions passagères
Je vais, je viens, je me souviens
Je me retrouve, je prends l’air
Mais j’ai la mémoire tenace
Mes souvenirs s’y entassent
Ils s’alignent dans mon esprit
Comme une colonie de fourmis
Les merveilleux, les douloureux
Les malicieux et les honteux
Les utiles et les imbéciles
Les futiles et les difficiles
J’aimerais bien de temps en temps
Pour m’alléger le subconscient
Sans états d’âme me délester
De quelques fantômes du passé
Mais pas moyen d’y échapper
Ils m’attendent au coin de la rue
Derrière le rideau tiré
Je les vois faire le pied de grue
Alors il vaut mieux je crois
Plutôt que de vouloir les fuir
Savoir que l’on va quelquefois
Trébucher sur ses souvenirs
LA LUMIÈRE
J’ai vu de la lumière
Derrière tes yeux d’acier
Alors je suis entré
Et tu m’as laissé faire
Il y avait une clé
Près de ton cœur de pierre
Alors je l’ai ouvert
Et il s’est enflammé
Tu tenais ta colère
Dans tes poings serrés
Je les ai effleurés
Et ils se sont offerts
Je suis resté bouche bée
Devant tant de mystère
Tant de beauté cachée
Depuis des millénaires
Tu avais enterré
Dans un profond cimetière
L’injuste et l’insensé
Pour oublier l’enfer
Le grand sablier
Ne fait pas marche arrière
Rien ne changera l’hier
Demain peut s’inventer
Et tant que nos pieds
Fouleront cette terre
Nous pourrons décider
De notre itinéraire
PARTIR AVANT
J’embrasse tes yeux qui dorment encore
J’embrasse tes yeux sans les toucher
Je m’éclipse avant l’aurore
Tu n’auras pas à me quitter
Quelques secondes encore pour respirer ta peau
Garder le meilleur avant de disparaître
Capturer ton visage, mémoriser tes mots
Tout ce que pendant ton sommeil je peux me permettre
En arrière-plan de ton sourire
Hier j’ai vu passer l’ennui
Je ne veux pas m’entendre dire
« Restons-en là, restons amis »
Je pars avant l’ombre au tableau
Avant les silences pesants
Je pars pour que ça reste beau
Pour l’éternité de l’instant
La rue s’éveille, la passion s’éteint
J’emporte ton image comme on vole un trésor
Je pousse la porte d’un nouveau destin
Tu me hanteras longtemps encore
ULTRAVIRTUELLE SOLITUDE
Il tourne autour de mon nombril
Le monde que je me suis créé
Il ne tient qu’à un fil
D’actualité
Vite encore une photo de moi
Et des infos sur mes émois
Deux heures sans rien publier
Le monde entier va m’oublier
2 623 amis
Et le grand désert dans ma vie
Je like, love et partage encore
Des inepties jusqu'à l’aurore
Sous le soleil rien de nouveau
Dans une heure je suis au boulot
Des visios en pagaille
Apéro ou télétravail
Salon sous vidéosurveillance
Mes cinq sens crient à l’indécence
3 927 amis
Et toujours personne dans mon lit
Puis soudain je perds les pédales
Dans cette cacophonie mondiale
Un pesant silence m’envahit
Assourdissant, infini
Le diagnostic est sans appel
Toxicomanie virtuelle
Je suis engluée dans la toile
Au bord de la maladie mentale
4 536 amis
Je meurs d’un pathétique ennui
Crise de claustrophobie salutaire
Après la séquestration volontaire
Je redécouvre soudain le ciel
Les étoiles me parlent du réel
Les gens, les vrais, ceux que l’on touche
À portée de main ou de bouche
Réapparaissent dans mon univers
Il suffisait de lever les paupières
Autour d’une table, quelques amis
Les bulles de champagne de ma vie